Partage du Paysage, Partage des richesses

Carte blanche sur les Eoliennes.

Par Bernard Delville, ingénieur civil,

Initiateur de l’ « éolienne des enfants » de Mesnil Eglise.

Administrateur de l’asbl Vents d’Houyet, www.vents-houyet.be

Partage du Paysage, Partage des richesses

Il y a quelques années, six exactement, naïfs et convaincus nous avons démarré le projet d’ « éolienne des enfants ». Une éolienne industrielle, valant un million d’euros, propriété d’enfants. Un acte simple, fédérateur, altruiste et abouti. Le vent au service de l’homme dans une métaphore lyrique : propriété exclusive d’enfants, nos enfants. Ce projet fait aujourd’hui l’unanimité, il n’a pas d’opposants.

Il est donc étrange de constater que, dans nombre de projets, les éoliennes dites « des adultes », ces consommateurs boulimiques de kilowattheures, sortent du champ symbolique accepté pour l’enfant et qu’elles puissent cristalliser des conflits « pour ou contre », irrationnels et souvent sans nuances et sans bons arguments.

Parce que ce débat « démocratique » génère des passions subjectives il en arrive à négliger l’état d’urgence face aux défis climatiques. Il crée une forme d’inertie trop vite appelée prudence et, plus grave, il freine les initiatives. Ce débat a un épicentre, un thème récurent, auquel tout citoyen s’identifie faute de l’avoir fait dans milles situations antérieures. Ce mot clef, énorme, galvaudé à l’extrême : MON PAYSAGE.

C’est tout à fait extraordinaire de constater que l’éolien recrée le lien apparemment disparu entre l’homme et l’agencement de la nature qui l’entoure. La tranchée d’une autoroute, l’implantation de tours telecom ou de pylônes, le champignon de vapeur de Tihange ou Chooz, l’expansion urbaine dans des parcs économiques ou commerciaux d’une architecture lambda, la maison du voisin, son gazon et sa tondeuse turbo, rien ne nous émeut.

L’éolienne, un objet qui travaille à priori pour notre vrai bien être devient, elle, cause de polémique. Objet placé pour vingt ans, infiniment plus escamotable si nécessaire qu’un sillon d’autoroute, un « cœur » nucléaire ou une banlieue aux HLM en béton gangrené, l’éolienne n’est pas une solution irréversible, elle peut au besoin n’occuper la place qu’un temps : le temps de résoudre autrement les questions qui aujourd’hui nous hantent.

C’est à ce point interpellant et irrationnel, que, moi, développeur de parcs éoliens, je dois documenter la question pour chercher à y répondre.

Le paysage vernaculaire, dessiné par l’homme.

La nature sur la planète ne se préoccupe pas de dessiner des paysages. La nature construit les grands décors. Les animaux sur terre interfèrent très peu dans l’organisation spatiale, ils s’y adaptent.

Seul l’homme, depuis des millénaires, agit et modifie l’ordonnance naturelle. Il défriche, sème, plante, détourne les cours d’eau, trace des chemins, des routes, déforeste, creuse des mines, empile des terres, crée des ports, urbanise et concentre les habitats, les étale, modifie sans cesse le « territoire » avec ou sans plans d’aménagements…

Prrrrtff !... il n’a de cesse d’amplifier son contrôle jusqu’à l’overdose.

Rares sont les endroits où aujourd’hui, moi, petit enfant d’hier, je retrouve cinquante ans plus tard l’image chromo de mon enfance. Tout est changé. Tout est « autre », en douceur, sans l’air d’y toucher.

En modifiant l’ordonnance naturelle, l’homme observe à tout moment le résultat de ses efforts et, parce qu’il a une âme de bâtisseur insatiable, un sens irrationnel de l’esthétique et de la forme, il s’enorgueillit de son travail, du travail antérieur « fondateur ». Il l’aime, l’admire et cette modification il se l’approprie, il lui donne un nom : paysage, panorama, vue, patrimoine.

Le « paysage » lui parle. Il a la mémoire inconsciente de tous les efforts, de génération en génération. Il le rassure par sa pérennité, sa présence forte. Il le relie au temps par le son (clocher, train, bêtes, machines agricoles…), par la couleur (les saisons, les champs et cultures…), par le mouvement et la senteur de l’air… Il lui est aussi hostile (nuages des centrales, trafic…), l’inquiète parce que sans cesse modifié…

Pourtant, cette mutation permanente de l’espace nature est bien la mesure de ce que l’homme cherche : le bien être, l’amélioration de ses conditions de vie. Car l’homme cherche à vivre mieux. Le train et l’autoroute sont acceptés par les usagers, le zoning commercial et ses parkings très fréquentés. Tihange a ses partisans car tout un chacun, nous trouvons tous ici nos avantages. Le temps des « inconvénients » est peut-être à nos portes, mais qui l’admet ?

Le paysage a cette forme sacrée entre le palpable et l’imaginaire. Ce qui explique qu’à chaque consultation publique, la plupart des détracteurs d’un parc éolien n’habite pas à proximité du site. Ils viennent d’ailleurs, au nom d’un « droit de sauvegarde » qu’avec lucidité ou bêtise ils s’arrogent.

Paysages à deux vitesses : politique ou habité

Ainsi le paysage encaisse les changements. Mais selon l’ampleur et la raison profonde de ceux-ci, la définition paysagère prend deux orientations bien distinctes.

Au plus le changement est grand, au plus la décision relève de l’Etat. D’où les expropriations pour infrastructures collectives, plans de secteurs prioritaires, aménagements du territoire planifiés sans réelles implications des populations.

De tous temps et dans toutes les civilisations les grands travaux « à travers tout » de l’Etat (voies et canaux, aqueducs, urbanisation, murs et enceintes puis voies ferrées, autoroutes, électrification, adduction d’eau, oléoducs, épuration, zoning d’activités…), travaux utiles et nécessaires, ne demandent guère l’appréciation du quidam. Celui-ci d’ailleurs cautionne souvent les bouleversements car il y trouve son compte. Le paysage est ici un paysage politique façonné d’en haut pour le bien public.

Dans cet ordre d’idée on comprend la position du gouvernement wallon en terme d’implantation d’éoliennes : en privilégiant l’implantation de grands parcs, interférant malgré tout dans l’espace visuel des riverains, le choix est pragmatique : il vise à l‘efficacité immédiate, avec un paysage qui s’y accommode. Un paysage façonné par le POLITIQUE.

Hélas, le choix des sites n’est pas planifié à l’avance, il est laissé à l’appréciation des porteurs de projets, l’urbanisme pare au plus pressé, ce qui crée des télescopages entre plusieurs projets, l’un moins bon pouvant écarter l’autre, meilleur en terme de production brute.

Une carte éolienne, oui, mais inféodée à l’urgence !

On en vient à revendiquer que le paysage politique, pour être acceptable, s’articule sur des projets performants, s’appuyant sur des critères d’efficience CO² plutôt que sur des considérations paysagères ou financières. Une carte éolienne, oui, mais établie sur une série de critères forts tous inféodés à l’urgence et au bonus prioritaire « climat ».

Ensuite, puisque l’Etat renonce à investir soi-même dans des infrastructures d’intérêt public, les « concessions venteuses », véritable patrimoine collectif, devraient faire l’objet d’appels d’offres contraignants ouverts à la participation locale. Inacceptable en effet que Mesnil-Eglise se voit entourée de quinze éoliennes rapportant des dividendes aux actionnaires de Suez ou Gaz de France et pas le moindre avantage aux autochtones, les culs-terreux du coin.

Ceci introduit une définition très différente de la notion de paysage politique avec une approche très locale et durable de l’aventure éolienne.

Le paysage habité, c’est l’art d’habiter le pays !

Dans leurs analyses et études, les paysagistes parlent volontiers du paysage habité. Ici le paysage est dessiné par l’habitant, à son rythme et à sa dimension. Paysage habité, un paysage façonné par celui-qui habite-le-pays !

Le plan de secteur cherche à cadrer la politique agricole, l’artisanat et l’habitat qui n’ont de cesse de moduler l’espace collectif. Ici, la décision sur un permis de bâtir ou d’exploiter dépend fortement de la commune, de sa commission d’aménagement du territoire… Tout changement aura une connotation locale, négociée. Elle impliquera directement l’habitant proche. C’est ce paysage qui nous intéresse, nous ruraux, habitants les derniers parcs naturels peu peuplés d’Ardenne et Famenne et c’est de ce paysage que nous voulons débattre. Ce paysage nous le revendiquons parce que nous l’habitons.

Dans le paysage, en bas à gauche, c’est moi, un des habitants.

L’habitant du pays connaît mieux que quiconque son pays, ses villages, ses champs et forêts, ses crêtes et vallons… Les nuits d’été il connaît le moteur des tracteurs dans les champs de foins, en septembre le brame des cerfs s’entend sur les chemins… Ainsi, le « bruit » d’une éolienne, pointé comme nuisance pas un non riverain, est plutôt écouté par le local qui, selon son degré d’acceptation, peut percevoir le chuintement occasionnel comme un bienfait plutôt que comme une gêne.

Dans son inconscient cet espace vaste qui l’entoure est son territoire vital avec ses équilibres et ses défauts. Il l’habite.

Le paysage ici quitte sa définition figée. Il se réinscrit dans un concept plus large qu’un simple esthétisme. Le paysage n’est pas une chromo glacé un brin nostalgique, c’est une interface vivante entre environnement et économie, entre territoires et urbanisation, entre pays et habitants.

Parties intégrantes de leur paysage ces derniers doivent être parties dynamiques du processus de changement. Sinon c’est l’exclusion et la frustration.

C’est ici où je veux atterrir. Dans notre monde globalisé, où l’accès à l’énergie devient un enjeu stratégique, avec des menaces réelles sur notre autonomie, chaque communauté villageoise a aujourd’hui le droit, le devoir de penser à son bien être et à son intégrité.

Chaque commune doit pouvoir revendiquer le droit de produire son indépendance énergétique. En construisant de nouveaux clochers, sur des buttes près du village.

Cette approche parallèle à la politique industrielle de l’éolien est une approche positive novatrice qui doit être entendue, revendiquée par les Communes. Pour réconcilier les « pour et les contre ». Les investisseurs locaux et l’administration locale valent davantage qu’un investisseur financier coté à Wall Street : La société civile vaut bien la société de l’argent !

Que l’on ne s’y trompe pas : le fond du débat «éolien » est un problème d’appropriation. Le fait que le vent est gratuit peut stimuler l’envie de se l’approprier. Les parcs éoliens proposés gênent essentiellement parce qu’ils ne sont pas partagés. Parce que le riverain, qui ose parler, a le sentiment très précis que son paysage lui est volé… au nom du climat. Ou plus cruellement, au nom de l’argent !

Tout s’inverse quand l’occupé devient l’occupant. Quand l’autochtone est reconnu partie essentielle du programme. Le paysage s’habite, il devient accessible et sa modification devient acceptable. Car l’acteur du changement c’est toi, moi, lui qui habitons ici.

Rien ne change. L’économie façonne toujours le paysage ! L’éolien n’échappe pas à la règle !

L’histoire des hommes démontre que le paysage habité est la résultante de l’activité humaine, qu’il est le miroir direct de l’économie de l’époque, et de ses vecteurs dominants : organisation, gestion de la terre, habitat, transport et énergie.

De nos jours la dimension sociale, l’impact économique d’un permis dans une zone de paysage ‘sensible’ ne s’écarte pas de l’histoire ancienne : lorsque l’intérêt, le besoin, l’urgence s’installe dans l’âme de l’homme, rien ne le dévie et son interaction sur l’environnement qui l’entoure est omniprésente.

Le drame serait que le citoyen ne comprenne pas aujourd’hui qu’il a son mot à dire, un rôle à tenir : être en dynamique positive avec le phénomène de l’électricité verte et de l’environnement. Que toute autre attitude devrait être déférée devant un tribunal de la sauvegarde de l’espèce humaine.

En guise de conclusion, si le paysage d’aujourd’hui n’est plus celui d’hier qui, dans l’état actuel des choses, peut prétendre décider de ce qu’il deviendra demain? Et plus loin, qui peut imaginer arrêter le changement en cours, inéluctable, réduisant le débat éolien à une polémique d’enfants gâtés, ignorants et bornés…. Qui ose parier que demain il fera beau… si nous n’agissons pas !

Bernard Delville

Administrateur de l’asbl Vents d’Houyet

www.vents-houyet.be

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